Vers une révolution de l’islam en Turquie ?

Le site de la BBC britannique publie le 26 février un article de son correspondant pour les affaires religieuses Robert Pigott, intitulé « Turkey in radical revision of Islamic texts »

Ce texte a été traduit intégralement par Alain Gresh et mis en ligne dans son blog.

Nous le diffusons ici avec son autorisation.

dimanche 2 mars 2008

La Turquie lance une réforme radicale des textes musulmans

Le puissant Département des affaires religieuses a chargé une commission de théologiens de l’université d’Ankara d’opérer une révision fondamentale des hadiths, les textes les plus sacrés de l’islam après le Coran. Les hadith sont une collection de milliers de dits qui sont attribués au prophète Mohammed.

Les hadith sont le principal guide pour les musulmans pour interpréter le Coran et la source de la vaste majorité des lois musulmanes (charia). Mais l’Etat turc regarde les hadith comme ayant une influence négative sur la société et croit qu’ils contribuent à brouiller les valeurs originelles de l’islam. Il affirme qu’un nombre significatif de ces dits n’ont pas été formulés par le prophète et que d’autres méritent une réinterprétation. Les commentateurs affirment que c’est la théologie même de l’islam qu’il faut réinterpréter pour effectuer un renouveau radical de la religion.

Les promoteurs de ce projets affirment que l’esprit logique et rationnel qui était inhérent à l’islam quand il est né il y a 1400 ans doit être redécouvert. Certains affirment que ce projet équivaut à une Réforme de la religion.

Jusqu’à présent, les officiels turcs étaient réticents à la révision des hadith, car ils étaient conscients que cela pourrait déboucher sur des controverses, qu’une telle réforme pourrait susciter parmi les musulmans tradtionnalistes. Mais ils ont parlé à la BBC de leur projet et de leurs ambitions.

L’examen légal des hadith se déroule à l’université de l’école théologique d’Ankara.

Un des conseillers du projet, Felix Koerner, affirme que certains hadith ont été inventé des centaines d’années après la mort du prophète Mohammed, pour servir les objectifs des sociétés d’alors. "Malheureusement, affirme-t-il, vous pouvez justifier par de soi-disant hadith, la pratique musulmane ou pseudo-musulmane de la mutilation génitale des femmes".

"Vous pouvez trouver des messages qui disent "voici de que le Prophète nous a ordonné de faire". Mais vous pouvez montrer historiquement comment ils ont été inventés, influencés par d’autres cultures et ont été adoptés en prétendant qu’ils appartenaient à la tradition musulmane."

L’argument est que la tradition musulmane a été graduellement capturée par diverses cultures, souvent conservatrices, cherchant à utiliser la religion pour différentes formes de contrôle social. Des dirigeants de ce projet Hadith affirment que des générations successives ont embelli les textes, attribuant leur but politique au prophète Mohammed lui-même.

La Turquie veut balayer ce "bagage culturel" et revenir à une forme d’islam dont elle affirme qu’il est en accord avec les valeurs originelles et celles du Prophète.

C’est là où le caractère révolutionnaire de ce travail apparaît. Même certains hadith reconnus comme ayant été prononcés par Mohammed ont été changés et réinterprétés. Le professeur Mehmet Gormez, un important officiel du Département des affaires religieuses et un expert dans les hadith nous en donne un exemple parlant.

"Il y a certains messages qui interdisent à la femme de voyager trois jours ou plus sans la permission de son mari. Ce sont des messages authentiques. Mais ce n’est pas une interdiction religieuse. Elle est venue parce que, tu temps du Prophète, il n’était pas sûr pour la femme de voyager seule. Mais le temps a passé, et les gens ont rendu permanent ce qui n’était prévu que comme temporaire, pour des raisons de sécurité."

Ce projet justifie son intervention audacieuse sur des hadith qui remontent à 1400 ans par une recherche académiques rigoureuse. Le professeur Gormez souligne un autre discours du Prophète disant qu’il "était impatient de voir le jour où les femmes pourraient voyager seule sur de longues distances". On comprend ainsi, dit-il, quel était le but du Prophète.

Pourtant, jusqu’à présent, l’interdiction demeure et permet de limiter le déplacement de certaines femmes musulmanes aujourd’hui.

Pour aider à ce programme agressif de renouveau, la Turquie a donné une formation théologique à 450 femmes, et nommé des imams appelés "vaizes". Elles ont pour tâche d’expliquer l’esprit originel de l’islam à des communautés isolées à l’intérieur de la Turquie.

Une des ces femmes, Huyla Koc, regarde une mer de foulards à une réunion dans le centre de la Turquie et explique aux femmes que l’égalité, la justice et les droits humains sont garantis par une interprétation précise du Coran et confirmé par les hadith revus.

Elle dit que, pour le moment, l’islam est largement utilisé pour justifier la violente répression des femmes. "Il y a des meurtres d’honneur" explique-t-elle. "Nous entendons dire que des femmes sont tuées parce qu’elles ont épousé la mauvaise personne ou qu’elles ont fuit avec la personne qu’elles aiment. Il y aussi la violence contre les femmes dans leurs familles, y compris le harassement sexuel par des oncles ou d’autres. Cela n’est pas autorisé en islam. Nous devons le leur expliquer."

Selon Fadi Hakura, un spécialiste de la Turquie à Chatham House (Londres), la Turquie ne fait rien moins que de recréer l’islam, le transformant d’une religion à laquelle on doit obéir en une religion devant servir les gens dans une démocratie séculaire moderne. Pour cela, l’Etat crée un nouvel islam. "Cela ressemble à la Réforme dans le christianisme", affirme-t-il. "Pas exactement la même chose, mais, si l’on y pense, cela change les fondements théologiques de la religion."

Jusqu’à présent, explique Hakura, la Turquie laïque (je traduis le terme anglais secularist par séculaire ou par laïque - note du traducteur) a voulu créer une nouvelle politique pour l’islam, maintenant elle tente de "façonner un nouvel islam".

De manière intéressant l’école d’Ankara de théologiens qui travaille sur ces nouveaux hadiths a utilisé des techniques et une philosophie critiques occidentales. Ils sont même allés plus loin, rejetant l’opinion pourtant établie que des textes moins anciens (souvent plus conservateurs) avaient précédence sur les textes plus anciens. "Il faut les voir comme un tout", dit Hakura.

"Vous ne pouvez pas dire, par exemple, que les versets sur la violence ont précédence sur les versets pacifiques. Cela est beaucoup utilisé au Proche-Orient, ce type d’idéologie. Je ne peux pas vous dire combien ce changement est fondamental."

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