La Bid‘a al-hassana : L’innovation louable

L’innovation louable, un des fondements de la législation musulmane.

dimanche 16 mai 2021

Au Nom d’Allah Le Clément, Le Miséricordieux

Et que la bénédiction et le salut soient sur son dernier Messager Muhammad grâce auquel il nous a sorti de l’insouciance et l’ignorance vers le dogme du tawhîd pur et la science utile.

Cette traduction est un atout majeur pour le musulman francophone qui désire approfondir ses connaissances en matière de religion. En effet, ce livre est un modèle de méthodologie de recherche pour celui qui veut avoir un avis authentique clair et objectif sur un thème quelconque des sciences de l’Islam (éducation, place de la femme, économie, bid‘a, notion de groupe sauvé (firqa nâjiya), liberté, shirk, etc.). Cette méthode consiste à faire un inventaire détaillé de ce qui a été transmis depuis la révélation, passant par les compagnons, les suivants (tâbi‘în) et les savants (‘ulamâ‘) reconnus de la Umma de textes sources, d’avis, de commentaires et compréhensions des salafs sâlih.

Cette méthodologie de recherche est nécessaire pour répondre à une montée en puissance de l’extrémisme qui s’alimente essentiellement de l’ignorance. Cet extrémisme fait un tri dans les sources pour orienter les jeunes vers ce qui convient à ses desseins. Beaucoup de termes et concepts se trouvent ainsi détournés de leur sens et leur application. L’usage erroné et abusif du mot « bid‘a » en est une illustration.

Dans notre époque trouble, beaucoup de nos jeunes passent le plus clair de leur temps sur Internet et les réseaux sociaux à mettre en garde contre tous ceux qui ne partagent pas leur avis ou l’avis de ceux qu’ils suivent aveuglement ! Ils n’hésitent pas à traiter nos grands savants et nos aînés à tort et à travers de qualificatifs insultant : « qubûrî » (adorateurs de tombes), « bid‘a » (hérétiques), « dâll » « égarés », ou pire « mushrik » (polythéiste) ! Ils ne mesurent pas la gravité de cet acte tant à l’échelle théologique qu’à l’échelle de la cohésion sociale, du bien vivre ensemble et de l’union sacrée et l’amour fraternel qui doivent lier tous les croyants au-delà de leur opinions et de leurs appartenance doctrinale.

Nos « salaf » litt. « Pieux prédécesseurs » n’occupaient pas leur temps précieux à « catégoriser » leurs coreligionnaires, ni à mettre en garde et traiter ceux qui divergeaient avec eux de « bid‘a ». Bien au contraire ils mettaient en garde contre la division et appelaient au respect de l’avis divergeant. Ils considéraient même l’avis doctrinal divergeant comme une richesse et une miséricorde.
Pour revenir à cette notation de bid‘a, les textes coraniques l’abordent pour désigner toute nouveauté ou innovation comme lorsqu’il évoque le dernier Messager (paix et salut sur lui) « Dis leur : je ne suis pas un « innovateur » (ou une innovation) au sein des prophètes… قل ماكنت بدعا من الرسل » (Coran 46, 9)
Ou encore pour évoquer quelques innovations des communautés avant nous : « …Nous avons envoyé après eux Jésus fils de Marie, Nous lui avons révélé l’Évangile et Nous avons mis dans le cœur de ceux qui l’ont suivi miséricorde et compassion. Le monachisme qu’ils avaient innové uniquement en vue d’obtenir la satisfaction de Dieu, Nous ne leur avions pas imposé ; mais ils ne l’ont pas pratiqué avec la rigueur voulue. Nous accordâmes à ceux d’entre eux qui avaient cru leur récompense et nombre d’entre eux furent des pervers... رهبانية ابتدعوها ما كتبناها عليهم إلا ابتغاء رضوان الله » (Coran 57, 27)

On comprend ainsi à travers ces textes du Coran que le mot « bid‘a » n’a pas forcément une connotation négative !

Dans la sunna authentique, nous avons essentiellement deux catégories de textes, l’une très connu qui dénonce la « bid‘a » et la qualifie d’égaré (dalâlah) et l’autre qui encourage toute chose nouvelle si elle est louable et utile et la qualifie de « sunna hasanah » et en promet les mérites.

Il est donc important ainsi de ne pas juger sans science, ni de se précipiter lorsqu’il s’agit de la religion. La religion est une science avec des règles d’interprétation strictes. Il est dangereux de se baser sur un unique texte pour statuer sur un sujet sans considérer son contexte, son authenticité, son statut (absolu ou particulier, abrogé ou abrogeant…), la présence d’autres textes qui précisent ou explicitent le premier… Seuls les savants (‘ulamâ‘) sont habilités à statuer sur les sujets de la religion.

Ces savants ont, vis à vis de la bid‘a, deux positions différentes dans la forme mais qui se rejoignent dans leur finalité :
1. L’avis défendu par des grands savants salafs comme l’Imam Mâlik Ibn Anas qui consiste à considérer le mot bid‘a dans son sens théologique sans s’arrêter sur son sens linguistique premier. Il dénonce ainsi la bid‘a, en considérant qu’elle désigne forcément l’altération ou le rajout nuisible et inutile dans la religion comme cela a été le cas des « bid‘a » des sectes égarées qui ont émergé au premier siècle de l’islam : telles les khawarij, les qadariya, les jabriyya, les jahmiyya, les mujassima, les mu’attila… La chose louable et utile est quant à elle traitée de « sunna » pour lui et pour les savants qui ont suivi cet avis et non de « bonne bid’a ». Nous trouvons cette position détaillée aussi chez l’imam ash-Shâtibî.
2. L’avis défendu par des grands savants salafs comme l’Imam ash-Shâfî’i qui admet une classification de la bid‘a en bonne ou mauvaise et qui affirme « Toute chose innovée qui contredit le Livre, la Sunna, le Consensus des savants ou le athar [unanime], est une innovation (égarée) et une errance. Par contre toute chose qui est innovée en matière de bien et qui ne les contredit en rien, est une innovation (bid‘a) louable. »

Il estime également : « Il existe deux types d’innovations (bid‘a) : les innovations réprouvées et les innovations autorisées. Les innovations conformes à la Sunna sont autorisées, mais celles qui la contredisent sont réprouvées ». Il appuie ses propos en se basant sur la parole de Umar Ibn al-Khattâb (le deuxième Calife) : « Quelle bonne innovation (bid‘a) celle-ci ! » . Umar a ainsi lui-même utilisé le mot « bid‘a » pour désigner un acte méritoire et utile de la religion !

Il importe de noter, à ce sujet, que des avis similaires ont été rapportés par nombre de savants réputés des Ahl as-sunna wa l-jamâ‘a tels que al-Bayhaqî, an-Nawawî , l’Imâm al-Haytamî, Abu Bakr ibn al-’Arabi, al-Ghazâlî, Ibn Hazm, Ibn al-Jawzî, le Sultan des oulémas l’imam al-‘Izz Ibn ‘Abd as-Salâm et al-Hâfiz ibn Hajar et bien d’autres.

L’imam al-Shawkâni, éminent savant de l’Islam, a conclu dans son livre « Naylu l-awtâr » que la séparation des innovations en bonnes et mauvaises, est la position la plus authentique.

Dans les « qawâ‘id al-kubra », ‘Izz ibn ‘Abdessalâm (surnommé le sultan des Ulémas) classifie les innovations (bida‘) comme pour les actes selon leur bénéfice, leur nuisance ou leur neutralité dans cinq catégories de règles : l’obligatoire, la recommandée, l’interdite, la blâmable et la permise, en donnant des exemples pour chacune de ces catégories et en mentionnant les principes de la Loi Sacrée qui vérifient cette classification.

Le présent ouvrage nous présente avec rigueur et de façon brillante la bid‘a comme nous devons la comprendre dans notre religion sans excès ni laxisme. Il est une « bouée de sauvetage » pour beaucoup de nos jeunes et nos moins jeunes en quête de la science authentique. Enfin, il s’inscrit dans une nouvelle collection des éditions Selsabil qui aspire à éclairer le grand public sur les notions clefs de la religion qui sont souvent galvaudées ou instrumentalisées pour des fins terrestres.

Puisse Allah faire de cela une aumône courante pour Lui.

Shaykh Tarik Abou-Nour

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