Les musulmans souffrent-ils d’une pathologie fitnatique ?

Aujourd’hui, le terme de fitnah est employé de manière très diffuse par les musulmans, à la fois chez le commun des croyants mais également, et de manière tout à fait problématique, chez un nombre important de membres et de responsables de groupes et organisations musulmanes. Dépouillée du cadrage théologique et des précautions méthodologiques des savants musulmans, la fitnah est alors pensée dans deux sens distincts mais qui se recoupent fortement dans leur conséquence première : l’immobilisme.

lundi 24 mars 2008

Si l’on devait établir le top 50 des mots les plus usités par les musulmans de France et de Navarre (et certainement pas qu’eux) au cours de ces dernières années, celui de Fitnah – ou Fitna, au choix – serait certainement dans le peloton de tête. Le terme, il est vrai, est employé plus d’une dizaine de fois dans le Coran, ainsi qu’à plusieurs reprises dans la tradition prophétique. Ibn Manzhoûr [1], dans son grand dictionnaire de la langue arabe Lisân al ‘arab, mentionne que le mot vient de la racine arabe f-t-n, employée sous la forme verbale fatana-yaftinou pour désigner l’action de fondre le métal précieux afin d’en séparer la quintessence des impuretés.

A côté de ce sens premier, le terme possède également une dizaine de sens dérivés, liés aux notions d’épreuve et de tourments. Pour rendre compte très simplement de ces significations, disons que la fitnah englobe trois sphères distinctes : de façon générale les différents types d’épreuves que Dieu fait subir à l’homme, pour tester sa foi et le rétribuer dans l’au-delà. A un second plan la fitnah désigne le désordre social, voire sociétal, lequel survient lorsque les musulmans délaissent les principes liés à leur foi pour se combattre entre eux ou se laisser corrompre par les négateurs du message divin.

Cette fitnah augmentera avec l’approche de la fin du monde. A un troisième niveau, la fitnah désigne les tentations contre lesquelles le croyant lutte afin de s’ouvrir à la lumière divine et pour préserver sa relation avec le prochain. Il est utilisé également dans son sens premier, dans le texte coranique, pour décrire le châtiment subi par les négateurs du message.

Reste à savoir quelles sont les déclinaisons pratiques de cette notion, aussi bien dans la littérature théologique que chez les fidèles musulmans. Chez les théologiens musulmans, la fitnah désigne avant tout deux choses spécifiques. La première concerne les grands troubles dans lesquels furent plongés les musulmans, une trentaine d’années après la disparition de Muhammad, lors des conflits opposant les partisans de l’imam ‘Alî à ceux de Mu’âwiyyah. Cette époque est généralement mentionnée sous le qualificatif de al fitnah al koubrâ (la Grande discorde). La seconde désigne l’ensemble des événements mondiaux qui sonneront le rapprochement inéluctable de l’Heure, c’est-à-dire de la fin du monde.

Cet aspect est répertorié chez les traditionnistes musulmans sous le chapitre des grands troubles (kitâb al fitan) et, on l’imagine bien, a donné lieu à toute une littérature exégétique des Signes de l’Heure. Ceux-ci sont divisés en Petits et Grands signes, afin que le musulman soit à même de se préserver des troubles qui agiteront le monde avant que le décret divin ne se réalise. Aussi, à toutes les époques des théologiens musulmans ont établi des analogies entre des textes de la tradition prophétique et des événements de leur époque pour annoncer la venue imminente des Grands signes de la fin du monde, pensant que la destruction du monde était proche.

Ce fut le cas par exemple lors des invasions mongoles, où les traits des guerriers de Gengis Khân étaient comparés à ceux des peuples de Gog et Magog (Ya’joûj wa Ma’joûj), décrits dans plusieurs propos prophétiques. Circonscrites au monde des théologiens et exégètes, ces analogies ont produit des descriptions plus ou moins pertinentes, mais dans tous les cas intéressantes des événements survenus aux différentes époques de l’évolution des empires musulmans.

Aujourd’hui, le terme de fitnah est employé de manière très diffuse par les musulmans, à la fois chez le commun des croyants mais également, et de manière tout à fait problématique, chez un nombre important de membres et de responsables de groupes et organisations musulmanes. Dépouillée du cadrage théologique et des précautions méthodologiques des savants musulmans, la fitnah est alors pensée dans deux sens distincts mais qui se recoupent fortement dans leur conséquence première : l’immobilisme.

Le premier sens, régulièrement mis à l’ordre du jour des discussions entre croyants et entretenu par certains prédicateurs et imams, est directement lié à l’idée de la fin du monde prochaine, et consiste à rechercher dans les soubresauts du monde contemporain les Grands signes annonçant sa destruction proche. A ce sujet, l’Antéchrist, le fameux Masîkh al Dadjâl, serait déjà parmi nous, et oeuvrerait à constituer son armée afin de fourvoyer le monde. Les grands conflits mondiaux actuels seraient les derniers petits signes, avant goût des grands cataclysmes qui ne devraient pas tarder à surgir.

Le monde serait dirigé par une poignée de sbires à la solde des forces du Mal préparant la destruction finale de la terre. Seuls seront sauvés les pieux serviteurs qui auront su décrypter dans l’actualité la présence de l’ennemi de Dieu, les autres étant tous dans la fitnah. Beaucoup de musulmans situés dans ce registre millénariste ont également un penchant très fort pour le surnaturel et l’univers de la sorcellerie, persuadés que cette dernière est très répandue et accomplissant au quotidien tout un ensemble de formules et de rituels pour se protéger des mauvais sorts.

Loin de nous l’idée de dénigrer ici l’une des croyances fondamentales des musulmans concernant la fin des temps, mais plutôt d’en pointer une dérive pathologique. Cette dérive réside dans une espèce d’immobilisme, voire même d’une léthargie qui entretient l’idée que nous n’avons plus d’emprise sur notre devenir et que toute action en direction du monde est vaine puisque nous sommes au cœur de la fitnah.

Portée à son paroxysme, cette représentation de l’univers fragilise tellement le musulman pris dans cette spirale qu’il peut très facilement plonger dans le premier groupe sectaire venu lui promettant une protection totale contre le monde fitnatisé. Une autre conséquence, très marginale bien heureusement, est sans doute la plus dangereuse puisqu’elle consiste dans la destruction de tout ce qui est en lien avec cette fitnah, musulmans compris, par toutes sortes de moyens de lutte qui sont tout d’un coup halalisés, quitte à éliminer son frère de sang ou de religion.

Le second sens dans lequel est employé le terme de fitnah est de loin le plus répandu, plus particulièrement dans les milieux militants et les organisations musulmanes, quelles que soient leurs obédiences et leurs sensibilités. De plus, il est source de tensions exacerbées si l’on considère le nombre incalculable de discussions qui amènent leur lot d’ostracisme et d’anathèmes, dans et hors associations musulmanes, à ce sujet, et le nombre important de posts mis en ligne par les internautes musulmans.

Il concerne les « Atteintes à l’intégrité du groupe », et résulte également d’un détournement des significations que les théologiens et les exégètes musulmans ont donné des notions de « groupe » et de fitnah. Ceux-ci, en effet, ont circonscrit l’interprétation de certains propos prophétiques relatifs aux séditions et divers troubles que vivront les musulmans au cours des siècles. C’est le cas notamment de la notion très générale de jamâ’a (groupe), employée par Muhammad pour désigner le groupe des musulmans dans sa globalité et de façon générale, conduit par un représentant (Amîr) qui n’est autre que le chef de l’Etat, si l’on veut transposer la notion dans notre vocabulaire contemporain.

Partant, la nécessité de l’adhésion au chef élu ou désigné – l’islam n’ayant pas posé un modèle particulier d’organisation de l’Etat ni de la société - a été mise en débat par les théologiens musulmans au regard de la nécessité et de la légitimité de prodiguer conseils et critiques aux détenteurs de l’autorité politique. Dans certains cas, cela peut même conduire à ce que l’on appelle aujourd’hui la « désobéissance citoyenne ».

Malheureusement, à toutes les époques la question de la soumission à l’autorité a fait problème, chez les musulmans compris. Et le pouvoir politique a toujours tôt fait d’instrumentaliser les textes religieux pour asseoir sa légitimité et jeter l’anathème sur toute forme de contestation.

Toutes proportions gardées, on retrouve aujourd’hui des éléments de cette instrumentalisation des références religieuses dans l’attitude de pas mal de membres et responsables de groupes et organisations musulmanes. Par exemple, sous prétexte de combattre la fitnah, combien de ces personnes culpabilisent les apports critiques qui aboutiraient, dans l’absolu, à impulser des processus de changement pour le bien de la structure mais remettant en cause la légitimité de leur position, de leur responsabilité ou de leur notoriété au sein de leur groupe ou organisation.

Comme cela a été rappelé précédemment, il ne s’agit pas ici de remettre en cause le bien fondé d’une structure associative ou d’un groupe musulman, mais de pointer une dérive dans les représentations et les attitudes issues d’une compréhension biaisée de la notion de fitnah. L’un des symptômes perceptibles de cette attitude est par exemple le fait que tout argument rationnel devient illégitime dans un débat d’idées sur la stratégie, la politique et la gestion de la structure, au profit d’arguments purement affectifs et irrationnels.

Pour détourner certaines réflexions ou apports critiques, on peut en effet facilement instrumentaliser des textes du type « L’imam Ali n’a-t-il pas dit qu’il est préférable que les musulmans soient unis dans l’erreur plutôt que désunis dans la vérité ? » pour faire taire tout apport critique. Mais, au final, cette attitude ne peut qu’aboutir à entériner cet immobilisme, lequel est bien malheureusement observable dans la majorité des groupes militants, soufis et autres associations liées à des Etats ou des tendances théologico-idéologiques qui composent le paysage islamique hexagonal. Un exemple concret illustre très bien ce détournement de signification, c’est celui de l’acceptation des collaborations au sein de ces structures.

Le plus souvent, en effet, les critères d’acceptabilité des propositions de collaboration de musulmans « non alignés » sont interprétées à la seule lumière de leur degré d’acceptation de ce qui est posé comme La vérité islamique absolue du groupe dans certains cas, à la soumission absolue au gourou dans d’autres cas, ou encore à la simple appartenance nationale et/ou ethnique. Dans les cas extrêmes, la préservation du « groupe » de la fitnah potentielle du musulman voulant l’intégrer ou y collaborer se traduit même par des attitudes relevant du registre de la discrimination.

C’est comme une sorte de hogra, qui va obliger un musulman compétent en gestion à prouver son abnégation en préparant des sandwichs pour la prochaine veillée, ou encore un autre compétent en communication à faire la plonge… afin de « casser son nafs », pour reprendre une expression triviale, parce qu’en islam ce n’est soi-disant pas bien de revendiquer une responsabilité, car celui qui la revendique risque de tomber dans la fitnah ou de fitnatiser le groupe. Là encore, c’est un détournement des propos coraniques et prophétiques aux seuls fins d’hégémonie et de contrôle des membres du groupe. Quand ce n’est pas pour annihiler toute volonté de participation de ces musulmans.

Par conséquent, l’idée qui risque de s’imposer définitivement dans l’esprit de ces derniers est que, pour accéder à une responsabilité dans une association musulmane, il faut la boucler et rentrer dans le moule, et surtout ne pas trop faire valoir ses compétences, car c’est mal vu. Aussi, les discussions en voix off avec cette multitude de musulmans dégoûtés qui, après avoir proposé leurs compétences aux associations et autres fédérations musulmanes, ont été éconduits d’une manière qui ne sied pas à l’éthique islamique, commencent vraiment à être inquiétantes. La cause du rejet est toujours plus ou moins la même : « Non, mais tu sais le frère il met la fitnah parce qu’il critique trop le groupe, et puis il remet trop en cause notre pensée ». En général, cette APF (Attitude de Prévention Fitnatique) se double d’un cadrage très restrictif :

- détournement de la notion de jama’a (groupe). Mon groupe devient Le groupe visé par les hadiths mentionnant le devoir d’unité et la préservation de la fitnah ;

- dans la suite logique, détournement de la notion d’allégeance au Chef des musulmans, ou Calife. Pour faire partie de mon groupe le postulant doit obéir de manière inconditionnelle au responsable (notion assez vague) ou au chef spirituel ;

- si tu n’appartiens pas à mon groupe, ou si tu le quittes après y être entré, tu mourras quasiment dans un état de mécréance (le « quasiment » peut sauter dans certains cas), et dans tous les cas tu vivras une vie de tourments ;

- il ne faut pas critiquer le chef car il symbolise l’unité du groupe. En général, les membres d’un groupe musulman sont tenus d’apprendre par cœur ce qu’on appelle l’hagiographie du fondateur, c’est-à-dire une histoire enjolivée où il a accompli des actions relevant du miracle, et où les gens qui l’ont quitté ont vécu dans la perdition et l’égarement ;

- Enfin, les notions de compétence et d’efficacité sont complètement détournées de leurs critères de base, à savoir la compétence et l’intégrité. En effet, sous prétexte que c’est Dieu et Lui seul qui fait aboutir les choses, on n’a plus à choisir quelqu’un de compétent. C’est un argument de plus qui permet d’évacuer une vraie réflexion de fond sur l’état des infrastructures musulmanes.

Remis dans un contexte local, cet état des lieux peut se traduire par des situations assez ubuesques : ce peut être le cas d’une association musulmane organisant un conseil d’administration ou une assemblée générale. A l’ordre du jour des débats est prévue une discussion sur le bilan de la gestion et l’action du président ou d’un « frère » responsable. Des critiques pointent des dysfonctionnements majeurs, et ne peuvent aboutir qu’à un changement de dirigeant où à une refonte des responsabilités.

Tout à coup surgit un membre de l’association qui, usant d’un vocabulaire spirituel, va inciter les critiques à revoir leur position : « Mes frères, mais vous ne vous rendez pas compte, ma cha Allah, le frère président – vous pouvez adapter la situation en fonction du responsable visé – il a passé du temps, il s’est investi fisabilillah (sur le sentier divin, c’est-à-dire en toute abnégation), vous êtes en train de remettre en cause sa niyyah (sa bonne intention)… Et en islam on n’a pas le droit de pointer les défauts de quelqu’un, vous voulez mettre la fitnah ! »

Ce type d’argument, encore une fois, est le meilleur moyen de préserver un statu quo empêchant toute évolution de la structure, jusqu’à ce qu’un conflit majeur y éclate à cause des critiques refoulées qui explosent un beau jour de manière incontrôlée. Cet exemple est loin de relever de l’anecdote ou de constituer un épiphénomène.

Il affecte également le fonctionnement de l’islam « d’en haut » et des fédérations qui le composent. Mais pour ne pas semer la fitnah, ces mêmes responsables musulmans savent s’entendre pour que chacun garde sa place et ses prérogatives. Ici, c’est tout le processus démocratique qui en pâtit, puisque les textes religieux peuvent être invoqués soudainement par un quelconque responsable d’une organisation musulmane pour affirmer que la démocratie n’est pas forcément un concept acceptable ou viable, en islam, car elle ne préserve pas de la fitnah…

Nous sommes donc face à deux types de comportements pathogènes, issus d’une compréhension altérée des textes religieux, et qui nuisent fortement aux possibilités d’évolution des organisations et groupes musulmans, même s’ils partent certainement de bonnes intentions.

On peut en effet croire en toute sincérité que la destruction du monde est imminente et que seuls seront sauvés les membres du groupe ayant compris cette lecture des événements. On peut également croire en toute sincérité être investi directement par Dieu d’une mission de propagation de la foi, ou posséder La vérité cachée aux autres croyants, ou encore être le seul musulman capable de réformer la société, en écartant systématiquement toute possibilité d’apport critique.

Pour sortir de cet état, il est absolument nécessaire d’impulser au sein de ces groupes et organisations des processus de changement, plus précisément au plan des modes de gestion et d’interaction avec l’environnement. Bien entendu, c’est toujours plus facile à dire qu’à faire, car le cœur du problème ne réside pas simplement dans un management de projet et des ressources humaines altéré, il renvoie à une conception de la Vérité et de la place du musulman dans le monde complètement biaisée. En effet, quand on analyse en profondeur le comportement des responsables, militants, membres et autres sympathisants situés dans cette dialectique fitnah/groupe, celui-ci procède de la certitude qu’ont tous ces musulmans de posséder l’unique vérité islamique, la vraie compréhension de la religion.

En conséquence ils sont également persuadés d’être les membres du « vrai groupe » conforme aux idéaux posés dans les textes religieux et décrits par le Prophète, d’avoir la seule bonne pratique religieuse inscrite dans la tradition des pieux prédécesseurs. C’est dans ce sens que l’on peut parler de comportements pathogènes, car les actions découlant de cette conception ne peuvent qu’aboutir au rejet de l’autre ou à l’éradication de son rapport personnel à l’islam, jugé non conforme à la vérité posée par le groupe et/ou potentiellement source de fitnah.

Les musulmans pris dans cette spirale doivent donc plonger au cœur de leur rapport à la Vérité, pour déconstruire leurs vérités et apprendre à les relativiser. Ils comprendront alors au moins trois choses. La première est que la Vérité repose sur des bases intangibles non seulement en matière d’approche et d’interprétation des textes religieux, mais également et surtout en matière d’éthique et de respect de l’autre.

C’est ce qui doit amener le musulman à adopter une attitude humble face aux apports critiques, d’où qu’ils viennent, et à développer une éthique du rapport à autrui emprunte d’une vraie dimension humaniste et à laquelle il doit s’efforcer de ne pas déroger. On observe aujourd’hui, avec un grand dépit, des compagnons de nombreuses années d’engagement associatif musulman se trucider sur l’autel de la da’wah (prédication), faisant voler en éclat tous les préceptes de base de la relation fraternelle, parmi laquelle la simple salutation marquée de respect.

On observe également des musulmans tombant subitement ou progressivement dans un repli de nature sectaire au sein d’un groupe millénariste, qui coupent tout d’un coup toute relation avec l’environnement - parfois leur propre famille musulmane - duquel il sont issus et qu’ils ont côtoyé pendant de nombreuses années, si ce n’est depuis leur enfance. Dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas possible de considérer un tel aboutissement comme le résultat d’une représentation construite et cohérente de références théologiques solides.

La seconde chose qu’il convient de saisir est que la religion ne doit jamais devenir le paravent de nos penchants égotiques, notamment lorsque nous devons faire face à nos propres limites de compréhension et d’action. A ce sujet, les musulmans ont bien plus besoin, aujourd’hui, de méthodologie de l’autocritique et de la remise en question que de vérités présentées en kits et prêtes à être consommées sans aucune modération ni recul critique. Le désir de dépassement de soi, dans le sens du cheminement spirituel, doit au contraire se traduire de manière concrète par la recherche de ce qui est meilleur dans tous les domaines, quant bien même ce meilleur serait issu d’un univers culturel ou religieux différent.

D’ailleurs, lorsqu’on prend le temps de les analyser, on s’aperçoit que ces aspects sont inscrits au cœur de la vie des premiers musulmans, et ont été traités comme tels à la fois par Muhammad mais également par ses premiers successeurs lorsque la communauté des fidèles, prenant une dimension nationale, puis internationale, sera confronté à la nécessité d’introduire de nouveaux outils d’organisation politique, économique, judiciaire, voire même en matière de développement scientifique et culturel. C’est ce dynamisme qui va permettre d’introduire de nombreux processus de changement et d’évolution civilisationnelle, issus notamment de la Perse ou du monde gréco-romain, dont un aspect relatif au plan théologique a été présenté dans un précédent article [2]. On est donc loin de l’instrumentalisation de références ou de textes religieux pour freiner tout processus de changement, comme cela a été explicité dans les pages précédentes.

La troisième chose dont il faut tenir compte, est la nécessité impérative de différencier l’autorité morale d’une personne reconnue pour sa sagesse, son bagage théologique ou encore sa piété, et la légitimité de la personne possédant une ou des compétences reconnues par sa formation scolaire, académique, professionnelle ou associative. C’est en quelque sorte la conséquence logique des deux points précédents et elle nécessite de prendre de la distance face à la concurrence des discours axés sur le tout-religieux. En effet, nous vivons une époque marquée par la volonté de nombreux musulmans de vouloir tout légitimer par la référence à un texte issu du Coran ou du hadith.

Pourtant, il existe de nombreux domaines de la vie qui nécessitent l’utilisation, doublée d’une démarche critique bien entendu, d’outils issus des sciences dures ou des sciences humaines. Pour conforter cette idée, certains prédicateurs et leaders de groupes et organisations musulmanes n’hésitent pas, alors, à faire prédominer l’idée que la légitimité d’un discours ne peut se mesurer que par la quantité de références coraniques et hadithiques utilisées, même si cela aboutit à un discours ou à une argumentation désordonnés.

Le résultat peut être littéralement catastrophique, puisqu’il provoque une confusion dans les esprits entre la nécessité de rechercher la science, quelle qu’elle soit et où qu’elle se trouve, et la nécessité de circonscrire toute réflexion à un argumentaire religieux. Bien des musulmans ne s’en sortent plus et, à la fin, se mettent dans une attitude de retrait complet, ne sachant plus quelle contribution ils peuvent apporter à l’évolution de l’islam, ce qui appuie l’immobilisme évoqué précédemment. C’est au prix de ce changement de posture radical que ces musulmans pourront être de réels acteurs de l’évolution de leur condition.

Omero Marongiu-Perria est sociologue.


Voir en ligne : Vu sur Oumma.com

Portfolio


[1Ibn Manzhour (630-711), est l’auteur de la célèbre encyclopédie linguistique Lisân al ‘arab (La langue des arabes).

[2Cf. Omero MARONGIU-PERRIA, Qu’est-ce qu’un musulman ?, www.oumma.com, 25 octobre 2007

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