II/ Les fondements de la jurisprudence islamique (usûl al-fiqh) (partie 5)

jeudi 29 mars 2007

4. Le licite et l’illicite (al-halâl wal-harâm)

Cette classification nous permet d’avoir une compréhension plus claire des sources. Dès lors que nous nous rappelons que Dieu seul décide de ce qui est bien et ce qui est mal, que la permission est première et, enfin, qu’on nous a fourni des repères pour nous diriger sur le bon chemin, nous devenons capables d’appréhender comme il se doit les deux notions d’al-halâl (ce qui est licite au sens large, comprenant non seulement al-mubâh, les actions permises, mais aussi al-wâjib, al-mandûb et al-makrûh, les actions obligatoires, recommandées et répréhensibles) et al-harâm (ce qui est absolument interdit).

Selon la croyance musulmane, Dieu sait ce qui est bon et ce qui est mauvais pour Ses créatures qui, en même temps, ont reçu la liberté. Ainsi indique-t-Il à l’homme les limites et les règles, tant générales que précises, à observer pour qu’il vive en accord avec la volonté du Créateur. À travers Ses différentes Révélations, et en particulier la dernière, Il nous a transmis le moyen de discerner le vrai du faux, le bien du mal, et c’est là un des noms du Coran : al-Furqân, « ce qui établit une distinction ».

Dieu, dans Son infinie bonté, nous a montré la voie, une voie qu’Il a rendue (en faisant de l’innocence et de la permission deux principes fondamentaux) aisée et à notre portée : « Dieu veut pour vous la facilité, Il ne veut pas pour vous la difficulté. » Coran 2/185

L’être humain est libre et il a le choix : il devrait savoir que ce qui est interdit par Dieu est mauvais pour lui, puisque c’est une prescription émanant de son Seigneur, qui connaît mieux que lui ce qui doit être évité et de quelles protections intérieures et extérieures les êtres humains ont besoin. La voie de l’islam est à la fois facile et exigeante. La responsabilité du vrai croyant est de suivre cette voie en faisant les choix appropriés et en s’empêchant de devenir un transgresseur ou d’être submergé de doutes. Les oulémas nous ont fourni une précieuse contribution, à savoir l’élaboration, à travers une étude méthodologique des deux sources islamiques, d’une classification des cinq différentes catégories morales liées à chaque loi et à chaque comportement ou action mentionnés dans le Coran et la Sunna. Ainsi, non seulement les domaines distincts du licite et de l’illicite (al-halâl et al-harâm) sont apparus plus clairement, mais encore les oulémas de toutes les époques à venir allaient dorénavant disposer d’un cadre normatif, d’un instrument qui allait leur permettre de faire face à des situations nouvelles, à des contextes nouveaux, pour ensuite formuler des décisions juridiques (fatâwâ) appropriées.

Cela a aussi été d’une grande utilité pour les croyants ordinaires qui ont ainsi pu discerner et pénétrer la vaste étendue du licite en islam avec les différentes gradations concernant la valeur des actions humaines (intrinsèquement mais aussi à la lumière d’un contexte particulier [1] ). En s’efforçant de se tenir éloigné des mauvaises actions et de tout ce qui conduit et attire dans cette voie [2], on pourrait – on devrait même – percevoir et choisir les étapes successives que l’on doit suivre pour protéger son cœur, son âme et son corps. En recherchant un mode de vie halâl (licite), et en appréhendant l’ample champ de la permission (mubâh) en islam, le croyant doit faire un choix et avant tout éviter, dans la mesure du possible, ce qui est makrûh (répréhensible) et s’orienter vers le mustahab (recommandé) dans tous les aspects de sa vie. Une fois encore, choisir ce qui est licite et recommandé ne signifie en aucun cas qu’il faille choisir la solution ou la décision juridique la plus rigoureuse ou la plus austère. Malheureusement, de nombreux musulmans, aussi bien oulémas que simples croyants, oubliant la prescription et l’esprit du Coran, se trompent de direction. Une fatwâ (décision juridique) n’est pas « plus islamique » lorsqu’elle est plus rigide… point du tout : une fatwâ est islamique du moment qu’elle respecte le Coran et la Sunna. Ni plus ni moins.

Respecter les limites fixées par Dieu nécessite avant tout, évidemment, une conscience profonde et permanente du Très-Haut, nourrie par une foi vivante et un rappel (dhikr) constant. Pour conserver intacte cette aspiration et pour éprouver une amélioration régulière dans le cheminement qui le rapproche du Créateur, un musulman doit savoir que dans le champ des actions il existe des priorités et des étapes, qu’il lui faut faire ses choix selon les sources islamiques et qu’il doit, de plus, tenir compte de l’environnement où il vit ainsi que de sa propre personnalité. Telle est la voie de la sagesse que la Révélation elle-même nous a enseignée : pendant les vingt-trois années de révélations successives, de nombreuses interdictions et obligations ont été révélées par étapes afin de faciliter l’observation de la nouvelle prescription et élever le cœur et l’intelligence des musulmans vers un plus grand respect et une spiritualité plus profonde. À la lumière du licite et de l’illicite, telle est la voie ascendante où chacun de nous doit s’engager et se maintenir, afin de réformer sa propre personne.

Dans le champ juridique, les oulémas, ayant compris à la fois le cadre, le but et la fonction du licite et de l’illicite dans le droit islamique, doivent fournir à la communauté musulmane un cadre juridique islamique approprié à son époque et à son environnement. Le double travail de lecture des sources et de compréhension du contexte (que nous évoquerons lorsque nous analyserons la notion d’ijtihâd) est la contribution essentielle des juristes (fuqahâ’) à la communauté musulmane de leur temps. Il s’agit d’avoir une connaissance approfondie des sources, de comprendre les êtres humains de leur époque ainsi que leur environnement et, enfin, de mettre en évidence les différentes étapes que la communauté musulmane (dans son ensemble ou dans chaque pays) doit suivre pour pouvoir se réformer elle-même et réformer ses membres et ses institutions. Le licite, l’illicite et les trois catégories susmentionnées constituent un cadre ainsi qu’une direction, ils sont la source et la voie d’un seul et unique objectif : plaire à Dieu et répondre à Son appel aujourd’hui, en Europe ou n’importe où sur cette terre, comme le Prophète (PBDL ) et ses Compagnons, hier, se sont efforcés de Lui plaire et ont si immensément réussi à répondre à Son appel.


[1Les savants des fondements du droit et de la jurisprudence islamiques (usûl al-fiqh) et les juristes eux-mêmes doivent étudier ce type de variations de la valeur morale d’une action en fonction du contexte : par exemple, un acte considéré comme licite, donc mubâh (permis) ou mustahab (recommandé), pourrait devenir, dans certaines circonstances, makrûh, répréhensible, ou même harâm, interdit. L’inverse pourrait bien sûr se produire : un acte interdit pourrait devenir licite, que ce soit mubâh (permis) ou mustahab (recommandé), ou même wâjib (obligatoire). Ce dernier cas est celui, par exemple, de l’obligation de manger du porc lors d’une période de famine si s’en abstenir conduit à la mort.

[2À ce propos, les savants des fondements de la jurisprudence islamique ont formulé un principe : « Ce qui conduit à l’interdit est interdit. »

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